L’ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis est désormais à la tête d’un mouvement paneuropéen qui veut agir pour plus de démocratie et de transparence.
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Il y a un mois, l’homme ayant tenu le rôle de ministre grec des Finances de janvier à mars 2015, Yanis Varoufakis, faisait son retour sur le devant de la scène. Il lançait un mouvement politique pour tenter de sauver une Europe menacée, selon lui, de désintégration sur fond de crise des réfugiés. L’iconoclaste économiste, chantre de l’anti-austérité, est désormais à la tête d’un mouvement paneuropéen qui veut agir pour plus de démocratie et de transparence. “L’Echo” l’a interrogé (par mail) sur cette Europe qu’il critique tant.
Comment jugez-vous les premiers pas de votre mouvement européen, “DiEM25”, officiellement fondé à Berlin il y a un mois?
Yanis Varoufakis: Ce fut un début réussi et émouvant. Nous avons su réunir des députés français, britanniques, portugais, hongrois, des députés verts et des députés de gauche ainsi que des représentants du plus grand syndicat allemand, les maires de grandes villes espagnoles telles que Barcelone et Saragosse, des hommes politiques venus du Danemark, un artiste tel que Brian Eno, etc. Cette rencontre, qui fut suivie de discussions politiques d’un très haut niveau, a été renforcée par la présence d’un public décidé à agir à l’intérieur de notre mouvement plutôt que de rester simple spectateur.
Pourquoi avoir choisi Berlin?
L’Europe ne peut pas exister sans l’Allemagne. Sans les démocrates allemands, l’Europe ne pourra pas se démocratiser. C’est pourquoi Berlin a été choisie. Il existe une autre raison: lutter contre l’idée stupide que le problème de l’Europe, c’est l’Allemagne.
Vous considérez que, étant donné la structure actuelle de l’Union Européenne, un gouvernement national seul ne peut pas réellement peser sur la prise de décisions et la direction prise par l’Europe?
Absolument. C’est ce qu’on explique dans le manifeste de DiEM25. L’ancien système politique est basé sur des partis s’adressant à une audience nationale. Partis qui, par la suite, construisent des alliances à un niveau européen. Ce système est devenu obsolète et ne peut pas servir de base pour démocratiser l’Europe.
Un des membres les plus connus de DiEM25, c’est Julian Assange. Considérez-vous que l’Europe a besoin de “whistleblowers”?
Tant que les décisions importantes seront prises de manière opaque, les whistleblowers (donneurs d’alertes/dénonciateurs, NDLR) seront le seul espoir de la démocratie. Celle-ci n’a pas de sens si les citoyens ne savent ce que font ses dirigeants en leurs noms. Julian a l’intelligence et toutes les capacités nécessaires pour être à la tête d’un géant technologique tel que Google. Pourtant, au lieu de faire cela, il a choisi de créer WikiLeaks pour que nous sachions ce qui se fait en notre nom. Par exemple, on sait grâce aux documents publiés sur le site que l’UE est en train de négocier avec les USA la mise à l’écart des parlements nationaux et des tribunaux, afin d’appliquer ou de faire voter des lois qui entravent les profits des compagnies multinationales.
Vous répétez depuis cinq ans qu’il faut trouver une solution concernant la dette grecque. Pourtant, au-delà des déclarations d’intentions ponctuelles, rien n’a encore été fait. Pourquoi?
De toute façon, tôt ou tard, toute dette non viable est réduite, d’une manière ou d’une autre. Soit d’une manière thérapeutique, de laquelle résulte une croissance qui permet de rembourser une grande partie de la dette. Soit de manière forcée, après un écroulement total de l’économie du pays en question, ce qui est très négatif tant pour celui-ci, que pour ses créditeurs. Le refus total de toutes mes propositions de la part des créditeurs de la Grèce reflète le grand déni de “l’establishment” européen: il refuse d’accepter que l’architecture même de la zone euro constitue le problème principal, et qu’elle doit donc être remise en question. Le fait est que cela remettrait en cause le pouvoir de ceux qui ont bâti la zone euro initialement…
Après les menaces de Grexit de l’année dernière, la Grèce a été menacée cette année d’exclusion de la zone Schengen… Comment jugez-vous cela?
C’est le résultat direct de la gestion erronée et misanthrope de la crise de la zone euro. Tel un cancer, celle-ci a créé des métastases qui attaquent et blessent la morale et l’âme de la famille européenne. J’espère qu’elles ne seront pas mortelles…
Comment jugez-vous la gestion par l’Union européenne de la crise des réfugiés?
Son attitude vis-à-vis de ces êtres humains, qui tentent d’échapper à une guerre dans laquelle l’Europe elle-même est en partie responsable, restera comme une page noire supplémentaire de l’histoire européenne. Mme Merkel a été la seule exception lumineuse sur la question, mais son propre parti et son parlement ne l’ont pas laissée agir…
Quel espoir aujourd’hui pour l’économie grecque? Que feriez-vous aujourd’hui si vous en étiez responsable?
Ayant été conçu pour être un échec, “l’accord” catastrophique de l’été dernier ne laisse aucune place à une reprise économique. Concernant votre deuxième question, si j’étais au pouvoir en Grèce, cela signifierait qu’il y aurait désormais en Europe une dynamique nouvelle permettant l’annulation de cet accord empoisonné, ce qui serait nécessaire pour pouvoir appliquer un programme de reprise et de reconstruction.
Vous répétez à l’envi que soit l’UE se démocratisera, soit elle s’écroulera. Pourquoi croyez-vous cela?
Car il en est exactement ainsi. L’Union européenne est en train de s’écrouler à tous les niveaux car, après six ans d’une crise économique qui s’éternise, les mêmes politiques stupides continuent d’être appliquées. C’est la conséquence du fonctionnement profondément antidémocratique des institutions européennes qui, par conséquent, perdent toute légitimité aux yeux des citoyens européens. La seule solution pour que l’UE la retrouve, c’est de démocratiser son fonctionnement et la manière dont sont prises les décisions au sein de ces instances, en parallèle avec l’application de politiques économiques rationnelles.
Comment jugez-vous les problèmes de la Deutsche Bank? Sont-ils liés aux choix politiques de l’UE à partir de 2008?
Absolument. Il s’agit d’une preuve de l’échec fracassant de la prétendue “Union bancaire” qui n’avait comme but réel que de soustraire les banques aux pratiques douteuses (“pécheresses” en grec, NDLR) telles que la Deutsche Bank, à tout contrôle réel d’une institution de contrôle européenne centrale. Jamais on n’a réellement voulu unir les systèmes bancaires européens, qui sont extrêmement fragmentés.
Vous pensez aussi que les choix politiques effectués au niveau européen depuis 2008 constituent, de fait, la fin de la social-démocratie européenne…
Oui. Avant la crise, les gouvernements socio-démocrates ont conclu une sorte de pacte faustien avec les banquiers, en disant de fait “Nous allons faire semblant de ne pas voir vos dérives [il se réfère ici surtout aux nouveaux produits bancaires, NDLR], et de votre côté, vous financerez l’État-providence et nos campagnes électorales avec une partie de vos bénéfices pyramidaux”. Mais quand ces pyramides se sont écroulées, la social-démocratie n’avait ni la force morale, ni le pouvoir d’analyse nécessaire, pour s’opposer aux demandes insistantes et agressives des banquiers d’être sauvés aux frais des Etats. Et donc, au final, des citoyens européens. C’est ainsi que l’on a ajouté la pierre tombale sur la dépouille de la social-démocratie européenne.
La création d’une Union fédérale européenne n’est-elle pas l’aboutissement naturel du projet européen?
C’est évident. Mais la crise de la zone euro et la manière stupide dont celle-ci est traitée depuis six ans créent des forces centrifuges qui poussent le projet européen dans le sens inverse…
Source: L’Echo